Jour 1
Aujourd’hui, je pars à l’aventure. Mes mains ont envie d’un corps d’homme, ses épaules, son dos… je choisis une faïence rouge, à la fois fine et chamottée, pour avoir la douceur et la rugosité sous les doigts. S’agit-il de virilité ? Non, il s’agit de force, celle de l’esprit, de la volonté, de la conviction.
Un visage se dégage, pensif, la tête légèrement de côté. La couleur de la terre le rend exotique, il sera hindou. Un chignon crée l’ambiguïté masculin-féminin, il devra être viril malgré cette coiffure. La force de son genre doit l’emporter malgré les apparences.
Un sadhu s’impose à moi, pensif et calme.
Jour 2
Cela avance mais pas aussi vite que je voudrais. Je construis à l’envers, la tête sèche très vite alors que le corps, souple, ne soutient pas le poids de l’ensemble. Je perds les fesses et les reins… L’idée est de le construire jusqu’au pagne qui ceint les reins, et finit la sculpture en drapé. Elle sera plantée sur une tige fichée dans un billot de bois.
Comment faire avec une pièce qui n’a pas de base ? Je construis à l’envers, en partant du haut, mais je sens que ça n’ira pas à cause du problème consistance/poids. En plus, je l’ai monté à la plaque, augmentant la fragilité. Encore une expérience formatrice… à ne pas refaire !
La faïence chamottée, très sensuelle au touché, est un régal à façonner ! Demain sera le jour des reins et du pagne.
Jour 3
La canaille résiste ! J’ai du mal avec la consistance de la terre. Il fait très chaud dans l’atelier. Le ventilateur me tient en survie mais la tête sèche alors que les hanches sont molles.
Jour 4
Le jour 4 j’ai principalement avancé le pagne à partir d’ une plaque de terre craquelée que j’ai disposée autour de ses reins. Je n’ai pas réussi à la faire aussi fine que je voulais. On reprendra ça plus tard.53 cm, la limite pour qu’il rentre dans le four… J’ai retouché les pectoraux et le sternum, la musculature du torse. J’ai cherché une texture non lissée en frottant la surface avec une boule de terre. Pal mal. Et enfin les bras : deux gros boudins de terre que j’accroche aux moignons des épaules et que je laisse reposer toute la nuit. Là, c’est trop mou pour modeler.
Jour 5
Grande satisfaction. Après 3 heures à rattraper le bras levé qui s’écroule, à le positionner en bas, en haut, soutenant une jarre posée sur l’épaule, un sac en bandoulière glissé sous son bras, un collier de fleur autour de l’épaule…. enfin !
Ce sera un collier de fleur jeté sur l’épaule, petit clin d’oeil à Michelange !!! Et oui, comment a-t-il fait pour maintenir le bras plié de son David ? il a posé sa fronde sur son épaule. Ah les grands maîtres sont toujours une valeur refuge !
Jour 6
Jeu de massacre. Une petite fille de 9 ans est présente dans l’atelier aujourd’hui. Elle me regarde faire timidement. Soudain sa voix découpe ma concentration aussi vivement que le fil tranche la terre : « Il a mal ? » demande-t-elle. Je ressens le même malaise. Je vis toujours très mal la phase où il faut vider la pièce. C’est barbare.
Jour 7
Et hop ! Mon sadhu est fini. En 7 jours, soit 7 x 5 = 35 heures. Un pain de 12,5 kg de PF/CHF faïence rouge chamottée à 0,5 mm. 2 kg retirés au vidage de la pièce. Reste 10 kg environ, mouillés. La pièce fait 53 cm de haut.
Elle sèche sous plastique pour que l’eau se diffuse par capillarité et unifie les différentes journées de travail. J’ai pilé de la terre blanche aujourd’hui.
Demain je tente de donner l’effet cendre du sadhu par soufflage de cette terre blanche sur la terre rouge.
Jour 8
C’est l’heure de la polychromie. Un engobe orange pour les cordons de tissu et la couronne de fleurs. Pour la peau, je fais un essai. Je pile de la faïence blanche très fine non chamottée et je la projette sur la pièce légèrement humidifiée.
Bon, c’est sûr, là, il y en a trop ! Mais je n’y touche pas sinon ça tombe tout. J’enferme sous plastique en espérant que l’humidité remonte. On verra dans 5 jours… je finis la séance en modelant le pied en faïence noire.
Voilà, la phase de séchage final commence.